Le Vinyasa de la posture de yoga
Le mot Sanskrit Vinyasa veut dire progression graduelle, séquence, enchaînement, protocole.
Quand je pense à une posture, comme adho-muka-svanâsana ci-dessous, immédiatement je vois une position fixe qui représente un aboutissement, un objectif. Si je choisis de pratiquer cette posture, j’ai tendance à aller le plus directement possible dans la position imaginée. Et quand un enchaînement de mouvements est proposé, je vois que souvent je prends des raccourcis ou je me contente de bouger, de me fatiguer pour ensuite me reposer.
Le travail du yoga voit les choses autrement, ce n’est pas la position aboutie vue comme un but qui seule est importante, mais tout le processus de préparation et d’entraînement puis la séquence de mouvements qui y conduit. En fait c’est le chemin, le voyage qui est le lieu de mes expériences, de mes observations et de mes découvertes.
Par exemple ce vinyasa pour la posture uttanâsana :
Position de départ debout bras le long du corps, lever les bras au dessus de la tête en inspirant, s’incliner vers l’avant en expirant, le front en direction des genoux, placer les bras dans le dos, faire une pause ou une respiration là, remonter en inspirant, en relevant le dos, les bras et la tête, enfin abaisser les bras le long du corps en expirant. Recommencer 3 à 6 fois la même séquence.
Est-ce que la tête peine à s’incliner, le dos à se courber, les jambes à résister pour ne pas plier ? Que devient le souffle, la stabilité, la souplesse ? Comment s’y prendre pour inviter les différentes parties du corps à une complicité bienveillante ?
Je me souviens que le Yoga-sutra définit la posture comme un chemin nouveau où les polarités opposées en moi même ne sont plus en compétition mais en coopération, en coparticipation, en coresponsabilité de l’harmonie tant recherchée. Ce nouveau chemin m’étonne toujours, quand là où tant d’effort était nécessaire, soudain c’est devenu facile, fluide, léger.
Prendre les raccourcis fait paradoxalement manquer le but. Ce but postural n’est qu’un élément, une direction à donner. Cette direction me permet de me relier au sol qui me porte et de coordonner mes mouvements au souffle qui m’anime, jusqu’à me sentir en équilibre, tranquille, observateur et finalement méditatif.
La posture est un moyen, le vrai but est d’aller à la rencontre de ma nature profonde et de mes ressources.
Pour cela une certaine lenteur est nécessaire. Et même je peux placer des arrêts entre les phases de la respiration, inspiration et expiration. Lenteur relative bien sûr, selon l’effort engagé. Lenteur pour prendre du recul, arrêter un peu la course folle du temps qui me fatigue chaque jour par les mille et une sollicitations de la vie que je ne sais comment arrêter.
C’est pourquoi le yoga est dit méthode de longévité ou d’immortalité ou encore de rajeunissement. Naturellement je ne deviens pas immortel cependant j’apprends à moins faire mourir mes actions en cessant de les précipiter vers leur fin ou leur chute.
Ceci vaut pour de nombreuses choses de ma vie quotidienne. J’apprends à goûter l’instant présent au long du chemin, au long d’une action, je retarde l’aboutissement afin que l’harmonie recherchée s’offre d’elle même comme un cadeau que j’accueille.
Ce ralentissement a un autre avantage, il me permet de m’intérioriser, de me centrer, puis d’aller dans l’action vers l’extérieur sans me perdre, sans me quitter moi-même, sans me disperser. Aller à l’intérieur de moi me permet de faire lien entre mon centre vital et le monde extérieur. Faute de quoi je perds un peu mon âme dans de multiples directions.
Autre avantage encore de me rapprocher de ce lieu d’équilibre en moi, est de me souvenir que ce noyau dur de mon être, cette « carte mère » que la vie m’a offerte, est invulnérable, toujours neuve et fidèle à ma nature unique, de ma naissance à ma mort.
C’est le message des Yogis depuis la nuit des temps. C’est juste bon de me rappeler ça. Ma vie n’est pas éternelle mais elle repose sur cela qui est hors du temps et de l’espace et qui est source de toute mon énergie, de mon devenir. Mon esprit logique est un peu perdu avec cette notion mais pas mon cœur. Mon cerveau gauche oui mais pas mon droit qui est sensible, créatif, adaptable.
Voilà pourquoi je ralentis le mouvement, la respiration, voir je l’arrête un instant. Et si la paix est de la partie, l’instant d’arrêt peut être étonnamment long, et c’est juste bon !
Ma présence au monde s’en trouve renouvelée, plus adaptée. En tout cas ce protocole me permet d’approcher la posture avec précaution, délicatesse, comme le petit prince de Saint-Exupéry l’apprend du renard, pour l’apprivoiser. Alors celle-ci, la posture, s’ouvre à moi, elle m’ouvre son cœur ! Est-ce possible de dire comme ça ? C’est une histoire d’amour avec la vie. C’est le yoga au cœur de ma vie.